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Jean Gaultier - Qontinuum

La stratégie Columbo





Il est absolument fascinant de constater l’avarice penaude avec laquelle les annonceurs intègrent leurs attributs réels dans la réflexion sur leur identité de marque, d’autant que les agences leur emboîtent souvent le pas. Tous leur préfèrent des propriétés fantasmées, pêchées dans une stratégie aussi onirique que spéculative et volontiers butinée dans les ramasse-miettes des quelques enseignes éblouissantes célébrées par les gourous du marketing et les oracles de l’eldorado digital. En gros, Apple et ses voisines d’apogée. Lorsque l’espiègle et recycleur (de talent !) La Fontaine écrit « tout petit prince a des ambassadeurs » dans La Grenouille et le bœuf, il a bien - et déjà - cerné le problème.

Les pièges qui jalonnent la création d’une stratégie de marque lucide et intègre peuvent pourtant être contournés.

La vérité si je mens

Souvent négligée, l’inhumation formelle de tout ce que la marque ne peut pas promettre et ne doit pas porter est pourtant le préambule obligé d’une réflexion sincère, débarrassée des accoutrements de faussaire dont on l’affuble, enivrés que nous sommes trop souvent par les émanations d’une douce illusion que nous présentons comme de la liqueur d’ambition. Précisément, lorsque l’ambition confine à la convoitise des atours d’autrui ou s’acoquine avec la fiction, elle fragilise son ossature originale et originelle. Inventorier consciencieusement, avec une rigueur quasi scolaire, ce que la marque n’est pas et ne sera pas à moyen terme, c’est se donner les moyens de faire prospérer tout ce qu’elle est, en faisant de la réalité l’engrais d’une croissance atteignable et d’une image loyale.

Si le gabarit d’une identité de marque est facilement reconfigurable lorsqu’il s’agit d’amplifier sa dimension dans le cadre d’une expansion réelle en terme d’influence et de business, en revanche la désillusion du marché provoquée par une imposture narcissique de la marque est durablement mortifère. Un nom, un logo, une signature, un univers graphique ou un champ sémantique n’engendrent aucune légitimité ; ils sont là pour confirmer et sublimer du vérifiable et du tangible.

Ciel, mon mari !

La phase d’élagage accomplie, tout n’est pas encore en place pour le jaillissement créatif. Après la saine liquidation des mirages, il est nécessaire d’ouvrir les placards et de soulever les tapis pour surprendre les réalités cachées – et parfois honteuses - derrière les battants du conformisme ou sous le voile de l’honorabilité. Admettre en interne avec lucidité ce que l’on fait mal ou ce que l’on ne sait pas (encore) faire permet d’éviter bien des déconvenues.

La plus belle créa ne résistera jamais à une expérience client désastreuse et s’il n’est évidemment pas possible d’anticiper un dysfonctionnement fortuit et non structurel, en revanche négliger sciemment un défaillance identifiée expose à une répudiation sans retour. N’oublions jamais que le contrat qui lie le consommateur à une marque est un CDD reconductible mais fragile qui survit rarement à la déception.

La chambre des tortures

Assez paradoxalement, la tentation - voire la pratique in fine - de l’affabulation dans la doctrine est rarement suivie de l’adhésion par les décideurs à une véritable audace créative. La plupart des agences peuvent témoigner de la dichotomie entre ce que l’annonceur prétend vouloir et ce qu’il est effectivement prêt à recevoir, d’où ce fréquent dévalement par paliers de dégradations et un atterrissage ultime plus proche de la concession que de la conviction. Pour autant, chacun doit bien avoir conscience que c’est bien l’annonceur qui porte le risque de la stratégie de marque et que, dans cet univers où règnent la subjectivité, l’incertitude et le symbolisme, le recours au conformisme est sécurisant. Trop d’agences revendiquent la souveraineté du génie créatif en l’argumentant à grands renforts de métaphores aussi capilotractées que prétentieuses, rajoutant une couche d’incompréhension sur une montagne d’inquiétudes. L’intuition, même prodigieuse, ne saurait se passer de pédagogie et si chacun est en mesure d’accepter que l’inspiration relève de la révélation, les chemins et méthodes qui la nourrissent sont eux parfaitement explicables et exprimables. Non seulement l’annonceur doit être préparé à la manifestation des tous les possibles créatifs, même les plus imprudents, mais il doit aussi être le témoin actif des éruptions pour que s’opère la synchronisation des idées et des enjeux, la rencontre du ciel et de la terre. A ce stade, tout doit pouvoir être dit, extériorisé, torturé aussi. Mais surtout partagé. A trop brider les objections en cours de process, agences et communicants prennent le risque de les voir surgir en bloc et sans nuance lors de la validation, attisées par l’amertume d’avoir été banni des débats.

La stratégie Columbo

Elle est là. Enfin. Ripolinée comme une chambre de nouveau-né. Reste à la vendre, cette belle identité de marque. Dans toute présentation, la première minute est décisive, le premier slide est crucial, les premiers mots sont capitaux. Je suis, la plupart du temps, médusé par la funeste médiocrité des powerpoint supposés soutenir les démonstrations, susciter l’engouement et emporter l’adhésion. Passons rapidement sur la dimension esthétique desdits ppt généralement bâclée faute d’être parvenu à convaincre le moindre graphiste, même stagiaire, de pervertir sa souris sur un logiciel de bureautique (NB : je reviendrai dans un autre billet sur PowerPoint et l’incroyable mépris des créatifs). Passons aussi sur les égarements d’exploitation qui consistent à utiliser powerpoint comme un prompteur ou une feuille word en oubliant que le son et l’image sont deux dimensions complémentaires et donc impérativement différentes. Attardons-nous en revanche sur les égarements de méthode dont la première, sublime dans sa vaine fatuité, consiste à s’appesantir dès le début sur des choses que tout le monde connaît déjà : le copier-coller du brief égrené dans un rayonnage de bullet points accablants. Face à cet interminable résumé des épisodes précédents, l’engourdissement succède à la somnolence qui aboutit au coma. Que peut-on attendre d’une décision prise en salle de réanimation ? Le second écueil est presque aussi mortifère : repousser la révélation en toute fin de présentation. Je suis un très fervent partisan de la « stratégie Columbo », redoutable d’efficacité : chaque épisode de la série débute par un crime dont on connaît d’emblée l’auteur. Toute la tension se déploie ensuite autour de ces deux questions : pourquoi ? comment ? Dans l’ordre : l’émotion, la raison, l’évidence.

(crédit image qontinuum)

article publié en 2018 - MàJ juin 2023

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